samedi 17 décembre 2011

Quand tout se fait rare

La Route Économique à l'entrée de La Lopé
La Lopé, c'est un village posé au détour d'un lacet du fleuve Ogooué qui regarde les antennes de télécommunication poussées sur le mont Brazza. Le nom du relief est un hommage à l'explorateur français Pierre Savorgnan de Brazza. Tout autour de lui se dessine un paysage vallonné qui au Nord du fleuve accueille quelques cultures de manioc, et au Sud se fait le lit du Parc National de la Lopé.
A la saison des brulis, l'atmosphère trouve des tons bruns et sombres d'une végétation rase et calcinée. Les sols continuent de fumer de leurs récents incendies tandis que l'air rappelle en tout lieu les feux de camps. D'épaisses volutes grises s'élèvent dans un ciel nuageux de saison sèche qui toujours menace de se percer sans jamais verser la moindre goutte.
Les camions traversent La Lopé

Deux artères font vivre le village. La Route Économique traverse le pays d'Est en Ouest et s'appuie sur les courbes de l'Ogooué. Goudronnée de Libreville à N'Djolé, c'est une nationale de terre qu'empruntent les portes containers pour franchir la grande rue de la Lopé. L'autre voie est ferroviaire et relie cinq jours sur sept Libreville à Franceville.

 
A peine descendus du train, les familles nous abandonnèrent en prenant place dans les camionnettes qui prirent la direction du château d'eau. Le Premier conseiller nous faussa rapidement compagnie pour disparaitre auprès de collègues dans une berline aux reflets argentés. Longeant la voie nous passâmes à pied et sacs aux dos devant des échoppes en bois. Il devait faire deux heures, et le soleil diffusait sa lumière au travers des nuages sur la piste déserte.
Le mont Brazza et ses antennes
Lentement, nous arpentâmes la corde d'un virage pour découvrir des habitations, puis croiser enfin la large voie rapide empoussiérée. A ces bords se massifiait les constructions. Nous nous arrêtâmes face à un complexe en brique rouge de plein pied qui paressait soigné à proximité des planches de bois des logements mitoyens : Lopé Hôtel. Sur le terrain était aménagé une allée couverte qui reliait les bâtiments à des patios où quelques gabonais sirotaient en plein air une bière devant un écran couleur.
Assis à la terrasse, nous aperçûmes notre compagnon de voyage entouré de quelques inconnus cravatés. Nous le rejoignîmes à son signe de main. Il fit quelques pas vers nous pour s'écarter du groupe et nous présenta le maitre d'hôtel vêtu d'une chemise à manche courte. Notre enthousiasme retrouvé chuta brusquement lorsqu'il nous détailla la situation : "Désolé mes amis, il n'y a plus de place à l'hôtel." La délégation avait raflé toutes les chambres disponibles pour la semaine.

Vue du mont Brazza sur un lacet de l'Ogooué
"Mais ce n'est pas possible ! Vous me dites que vous avez réservé tout l'hôtel ? s'exclama Adrien sans laisser paraitre un instant de panique. Allez, vous avez bien une chambre que vous n'utilisez pas ?
- Non, il n'y en a pas, rétorqua immédiatement l'homme en chemisette.
- Aahh... Bon, on va être obligés d'aller voir les éco-guides pour les prochaines nuits, Vincent.
- En vérité, nous avons une chambre que je peux rendre. Un de nos collègues ne viendra pas à l'inauguration. L'hôtel peut vous la louer. Cependant, la chambre n'a qu'un seul lit, précisa le fonctionnaire."

Un flottement, un regard, une inquiétude. Puis :
"On commence à avoir l'habitude depuis Libreville. On s'en accommodera ! conclut Adrien"

Pas le temps de discuter du prix, un employé vint nous conduire jusqu'à la chambre. Les ouvertures fermées, l'intérieur du bâtiment conservait une fraicheur relative à cette heure du jour. J'avançais à tâtons sur les mosaïques de ce couloir sombres. Mes yeux s'habituèrent lentement à la pénombre rendue par ces murs de briques nues. Face à la porte entrouverte de notre chambre, le préposé s'éclipsa sans un mot tandis que nous découvrîmes le lit. J'échangeai un sourire à Adrien, il était plus large qu'à notre première nuit.

Sur la gauche, un passage donnait sur une pièce de toilette. Un lavabo, un toilette, pas de douche !
"Adrien, fais attention au seau demain matin, lançait-je à travers la chambre.
- Un seau ? Bah, la femme de ménage l'a oublié là."
Cherchant à me rafraichir, je tournai le robinet pour m'asperger le visage et la nuque.
"Adrien, je viens de comprendre à quoi sert le seau ! Je te laisse la surprise, mais j'espère que tu n'as pas prévu de te laver tout de suite ! ironisai-je."
Il entra pour fouiller la pièce du regard, puis s'arrêta sur le fin filet qui goutta du robinet jusqu'au creux de mes mains en coupelle. La Direction de l'hôtel avait eu la gentillesse de nous laisser le seau rempli d'eau le temps que le château d'eau du village soit remis en état.
"Mais pour la douche, comment on fait ? m'inquiétai-je.
- J'en ai vu sur le palier. Moi la douche froide, ça ne me dérange pas ! annonça-t-il bravement.
- Et la douche rationnée à cinq litres, ça te dérange ?
- Ne t'en fais pas mon petit Vincent, ya plus grave dans la vie !"
Même si je trouvai sa dernière remarque dérisoire et moqueuse, elle me réconforta. Nous triâmes nos affaires sur le lit pour n'emporter que casquette, lunette de soleil, en cas, appareil photo. L'heure était à notre première excursion.

Sortis du bâtiment nous attendîmes de voir réapparaitre le maitre d'hôtel pour l'interroger sur nos deux problèmes existentiels. Il nous répondit qu'une navette partait régulièrement de Lopé Hôtel pour atteindre l'Hôtel La Lopé, le lodge touristique à deux kilomètres du village, d'où partait toutes les excursions vers le Parc National. Enfin, le château allait très vite être réparé.

dimanche 11 décembre 2011

Une main tendue

Gare d'Owendo par Vincent Vaquin (Wikipédia)
Nous sortîmes nos sacs du taxi pour nous avancer parmi la foule désorganisée qui occupait le hall de la petite gare d'Owendo. En avance sur l'horaire incertain du train, nous fumes pressés par plusieurs pour rapidement enregistrer nos bagages. Nous refusâmes d'acheter les braves intentions pour nous faufiler entre les familles. Le flux nous entraina, impuissants, face à un guichet protégé par du grillage au jaune tâché. Une grille aux tarifs périmés affichée au mur provoquait des exclamations autour de nous.

Vingt longues minutes tassés et bousculés par la cohue, je ne fus pas certain de mon tour en présentant mon sac au travers de la nuée de bagages portés par leur propriétaire qui espérait enfin se débarrasser de leurs cartons, leurs sacs de toile, leurs affaires de cuisine... enfin tout ça, dans le wagon-soute. A y regarder, nous étions seuls à voyager sacs de randonneur dans le dos. La réponse de l'employé fut d'ailleurs très clair : "Il ne faut pas les donner", nous les prendrions en cabine avec nous !

Après ce bain de familles gabonaises, nous nous éloignâmes pour petit-déjeuner dans une des boutiques jouxtant les guichets. Le souvenir des sandwichs viande hachée m'était encore pénible. Pas de risque pour notre périple, nous primes des gaufres cuites. Sur la fin de mon café, les haut-parleurs grésillèrent l'annonce d'un retard. Nous découvrîmes notre cabine vers dix heures moins dix. Les sacs reposaient sur les deux sièges inoccupés face à nous. Et roule pour La Lopé...

Le train s'ébranla et nous sentîmes rapidement le souffle glacial de la climatisation. La rame traversa les stations des abords de Libreville, puis les arrêts se firent bien plus rares à mesure que la végétation reprit place sur les constructions précaires.
C'était donc vrai, la première classe de ce pays équatorial est givrante. Une sensation oubliée me gelait les pieds, m'engourdissait les jambes. Rien n'y fit, ni de frotter les mains, ni de battre la mesure. Alors je franchis le couloir pour respirer l'air chaud et humide de la plateforme et observer le teint jaune-ocre des paysages. Adrien décida d'en capturer quelques-uns à soixante kilomètres heure.
Le chemin du retour m'appris que nous étions dans un train Alstom utilisé sur les lignes TER de la SNCF. La carte des chemins de fer français palissait de soleil sur la cloison des toilettes. Clin d’œil des forts liens franco-gabonais.

par Jean-Louis Albert
Te souviens-tu, Adrien, de cet aimable personnage qui nous rejoignit dans notre compartiment ? Il m'apparut tout d'abord ambigu avec une pointe de surréalisme amusant. Il se présenta comme Premier Conseiller du cabinet du Ministre de la Culture. Il s'apprêtait à inaugurer une école dans la région de l'Ogooué-Ivindo et s'empressa de nous tendre sa carte de visite dorée estampillée du blason du gouvernement. Tu dois te souvenir de son nom, Adrien. Comme nous, il entreprenait ce voyage vers La Lopé où les principaux représentants de la province l'attendaient.

Un kilomètre avant La Lopé
A discuter fièrement du niveau de l'Education du Gabon entre deux coups de fils, il paraissait détendu et confiant en toute situation, mais aussi inquiet de l'image de son pays. Pouvoir se fier à quelqu'un sans craindre demande de rémunération ne nous était arrivé que trop rarement durant notre expérience africaine. Prudemment, nous dévoilâmes notre projet de découvrir les grandes facettes des parcs naturels gabonais. J'avais réservé trois nuits au Lodge de La Lopé. Cependant, nous espérions trouver des alternatives bien moins onéreuses sur place. Les cent soixante mille francs CFA pesaient sur le budget de notre voyage et pouvait nous priver d'excursions bouleversantes. Je lui évoquai les possibilités que nous avions. A savoir un hôtel plus basique ou un hébergement rudimentaire chez les Guides et Eco-gardes du Parc National.
Le long du fleuve Ogooué
Il décida de contacter son collègue local pour nous obtenir une chambre à trente mille la nuit. Au détour d'une courbe de l'Ogooué, l'appel n'aboutit pas. Certainement un trou dans le réseau téléphonique.
Adrien orienta la conversation dans un but avoué de confondre le personnage : "Mais en fait, c'est quoi votre métier ? Je veux dire, qu'est-ce que vous faites comme travail au quotidien ?" Des piques dangereuses face au paraitre gabonais, mais effroyablement efficaces !


En début d'après-midi, le train quitta un instant les rives du fleuve, traversa la Route Economique, et stoppa en gare de La Lopé.

mardi 15 novembre 2011

De Libreville à Owendo

La chambre d'hôtel avait été payée d'avance. Elle était désespérante. Ses papiers peints sombres et cloqués étaient depuis longtemps passés de mode. L'ampoule à filament diffusait faiblement son éclat sur l'unique lit qui, avec une penderie mobile en acier dessoudé, meublait tant bien que mal l'étroite pièce. Nos bagages avaient été déposés dans un coin.
Alors que je choisis le côté gauche pour la nuit, Adrien découvrit la salle de bain. Avec elle se poursuivait cette sensation de temps qui passe, de pourrissement de la matière. Le lavabo ne tenait plus que par une évacuation malmenée. La robinetterie montrait ses entrailles qui débordaient des murs.
Je soulevai avec crainte les draps de peur d'y trouver un monstre de mes cauchemars d'enfance, ou plus probablement des puces. Puis je roulai au creux de la cuvette de notre matelas hors d'âge. La nuit était calme, éclairée par les lueurs de la rue. Une nuit sur Libreville, c'était peu, mais déjà tellement différent !

Nos affaires empaquetées dans les sacs de voyage, j'eus un réflexe de survie au sortir de l'hôtel. Allongeant le pas jusqu'à la réception, j'insistai pour payer d'avance une nuit à notre retour d'excursion. Penché au dessus du comptoir, je guettai les yeux rivés sur le cahier de réservation la prose de la tenancière associant nos noms à la chambre Dauphin. Soulagés d'éviter la cruauté d'une nuit d'errance dans Libreville, nous partîmes en taxi pour la gare d'Owendo, au Sud de la capitale. Le vieux modèle se faufila à travers les ruelles encombrées de passants jusqu'à l'avenue du M'Bolo qu'il remonta rapidement vers la voie rapide périphérique.

Changement de décors. Après de solides immeubles de deux à trois étages aux façades claires et soignées apparaissaient de chiches habitations en parpaings. Jouxtant l'autoroute, poussiéreuses, désorganisées et insalubres, ces constructions de fortune ne dépassaient que rarement la taille d'une chambre d'étudiant. A mesure que nous parcourûmes la quinzaine de kilomètres qui nous séparèrent encore de la gare, des planches gagnaient du terrain sur les murs de pierre qui rapetissaient. La tôle laissait place au bois. Mais toujours l'on observait des cadavres de voitures, de congélateur et de débris sur ces espaces où séchaient invariablement vêtements et nourritures. Tels des champignons, les constructions s'improvisaient sur des flancs pentues à la stabilité incertaine. Et toujours elles bravaient la proximité de ce boulevard, rognant parfois sur la bande d'arrêt d'urgence sur laquelle les voitures parquées s'entassaient.

Le taxi poursuivit sa course, dépassant des quartiers de vie qui émergèrent le long d'une bretelle où les étales se serraient pour proposer la bière et les grillades au bruit de la circulation. Il quitta enfin le périphérique pour stationner à proximité du parking de la gare d'Owendo.