La Route Économique à l'entrée de La Lopé |
La Lopé, c'est un village posé au détour d'un lacet du fleuve Ogooué qui regarde les antennes de télécommunication poussées sur le mont Brazza. Le nom du relief est un hommage à l'explorateur français Pierre Savorgnan de Brazza. Tout autour de lui se dessine un paysage vallonné qui au Nord du fleuve accueille quelques cultures de manioc, et au Sud se fait le lit du Parc National de la Lopé.
A la saison des brulis, l'atmosphère trouve des tons bruns et sombres d'une végétation rase et calcinée. Les sols continuent de fumer de leurs récents incendies tandis que l'air rappelle en tout lieu les feux de camps. D'épaisses volutes grises s'élèvent dans un ciel nuageux de saison sèche qui toujours menace de se percer sans jamais verser la moindre goutte.
Les camions traversent La Lopé |
Deux artères font vivre le village. La Route Économique traverse le pays d'Est en Ouest et s'appuie sur les courbes de l'Ogooué. Goudronnée de Libreville à N'Djolé, c'est une nationale de terre qu'empruntent les portes containers pour franchir la grande rue de la Lopé. L'autre voie est ferroviaire et relie cinq jours sur sept Libreville à Franceville.
A peine descendus du train, les familles nous abandonnèrent en prenant place dans les camionnettes qui prirent la direction du château d'eau. Le Premier conseiller nous faussa rapidement compagnie pour disparaitre auprès de collègues dans une berline aux reflets argentés. Longeant la voie nous passâmes à pied et sacs aux dos devant des échoppes en bois. Il devait faire deux heures, et le soleil diffusait sa lumière au travers des nuages sur la piste déserte.
Le mont Brazza et ses antennes |
Lentement, nous arpentâmes la corde d'un virage pour découvrir des habitations, puis croiser enfin la large voie rapide empoussiérée. A ces bords se massifiait les constructions. Nous nous arrêtâmes face à un complexe en brique rouge de plein pied qui paressait soigné à proximité des planches de bois des logements mitoyens : Lopé Hôtel. Sur le terrain était aménagé une allée couverte qui reliait les bâtiments à des patios où quelques gabonais sirotaient en plein air une bière devant un écran couleur.
Assis à la terrasse, nous aperçûmes notre compagnon de voyage entouré de quelques inconnus cravatés. Nous le rejoignîmes à son signe de main. Il fit quelques pas vers nous pour s'écarter du groupe et nous présenta le maitre d'hôtel vêtu d'une chemise à manche courte. Notre enthousiasme retrouvé chuta brusquement lorsqu'il nous détailla la situation : "Désolé mes amis, il n'y a plus de place à l'hôtel." La délégation avait raflé toutes les chambres disponibles pour la semaine.
Vue du mont Brazza sur un lacet de l'Ogooué |
"Mais ce n'est pas possible ! Vous me dites que vous avez réservé tout l'hôtel ? s'exclama Adrien sans laisser paraitre un instant de panique. Allez, vous avez bien une chambre que vous n'utilisez pas ?
- Non, il n'y en a pas, rétorqua immédiatement l'homme en chemisette.
- Aahh... Bon, on va être obligés d'aller voir les éco-guides pour les prochaines nuits, Vincent.
- En vérité, nous avons une chambre que je peux rendre. Un de nos collègues ne viendra pas à l'inauguration. L'hôtel peut vous la louer. Cependant, la chambre n'a qu'un seul lit, précisa le fonctionnaire."
Un flottement, un regard, une inquiétude. Puis :
"On commence à avoir l'habitude depuis Libreville. On s'en accommodera ! conclut Adrien"
Pas le temps de discuter du prix, un employé vint nous conduire jusqu'à la chambre. Les ouvertures fermées, l'intérieur du bâtiment conservait une fraicheur relative à cette heure du jour. J'avançais à tâtons sur les mosaïques de ce couloir sombres. Mes yeux s'habituèrent lentement à la pénombre rendue par ces murs de briques nues. Face à la porte entrouverte de notre chambre, le préposé s'éclipsa sans un mot tandis que nous découvrîmes le lit. J'échangeai un sourire à Adrien, il était plus large qu'à notre première nuit.
Sur la gauche, un passage donnait sur une pièce de toilette. Un lavabo, un toilette, pas de douche !
"Adrien, fais attention au seau demain matin, lançait-je à travers la chambre.
- Un seau ? Bah, la femme de ménage l'a oublié là."
Cherchant à me rafraichir, je tournai le robinet pour m'asperger le visage et la nuque.
"Adrien, je viens de comprendre à quoi sert le seau ! Je te laisse la surprise, mais j'espère que tu n'as pas prévu de te laver tout de suite ! ironisai-je."
Il entra pour fouiller la pièce du regard, puis s'arrêta sur le fin filet qui goutta du robinet jusqu'au creux de mes mains en coupelle. La Direction de l'hôtel avait eu la gentillesse de nous laisser le seau rempli d'eau le temps que le château d'eau du village soit remis en état.
"Mais pour la douche, comment on fait ? m'inquiétai-je.
- J'en ai vu sur le palier. Moi la douche froide, ça ne me dérange pas ! annonça-t-il bravement.
- Et la douche rationnée à cinq litres, ça te dérange ?
- Ne t'en fais pas mon petit Vincent, ya plus grave dans la vie !"
Même si je trouvai sa dernière remarque dérisoire et moqueuse, elle me réconforta. Nous triâmes nos affaires sur le lit pour n'emporter que casquette, lunette de soleil, en cas, appareil photo. L'heure était à notre première excursion.
Sortis du bâtiment nous attendîmes de voir réapparaitre le maitre d'hôtel pour l'interroger sur nos deux problèmes existentiels. Il nous répondit qu'une navette partait régulièrement de Lopé Hôtel pour atteindre l'Hôtel La Lopé, le lodge touristique à deux kilomètres du village, d'où partait toutes les excursions vers le Parc National. Enfin, le château allait très vite être réparé.