vendredi 28 mai 2010

Death Service

Aujourd'hui, je me laisse encore surprendre par la capacité du Gabon à complexifier le quotidien. Prenons, par exemple, l'achat d'un billet d'avion national. En France, je me jetais sur les comparateurs de prix en ligne. En moins d'une demi-heure, je savais quand et d'où je partais avec le prestataire le moins disant.
Au Gabon, on inverse la logique. L'important n'est pas le prix du vol mais le temps passé à l'attendre. Puis, le billet trouvé, inutile de sortir la carte bleue ! Vous ne pensez tout de même pas payer en ligne ! Et par carte par dessus tout ! Oh, mon ami...

En fin d'après-midi, me voilà parti pour l'agence d'Air Service en centre ville. Passant la porte protégée de barreaux aux couleurs de l'entreprise (orange et bleu), je fais face à une vaste pièce immaculée conception. Au fond, deux personnes sont dédiées aux réservations des vols. A leur gauche, la femme s'affaire à la Caisse. Celle-là reconstitue impeccablement la gardienne dans sa prison. Je prends un siège et, accoudé à la longue table blanche transversale, passe commande d'un vol Libreville Port-Gentil. Entre deux interpellations de ma voisine en passe de négocier les tarifs, mon interlocuteur trouve finalement le temps d'imprimer ma réservation. Reste le maton dans sa cage.
Une pancarte bouche l'orifice découpé dans la vitre pour le passage de l'argent : "Caisse fermée". Derrière, impassible, la femme compte et recompte des tas de billets. Un oeil à ma montre et c'est la fin de journée. Ah non, elle ne va pas me faire ce coup-là. Je suis le dernier client. Eh bien désolé, mais ça arrive ! Promesse de Vincent, je ne sors pas d'ici sans mon billet !
Et je poireaute devant la vitre... ah non, là tu as fait une erreur, recompte. Et voilà, je te l'avais pensé ! Bon, combien ils sont, les tas ? Tiens, je vais faire le mien bien en évidence devant toi ! Deux vols à 150 000 FCFA par coupures de 10 000. C'est vraiment une monnaie à la con !
Après cinq minutes, elle me prend mon tas qu'elle recompte également pour le ranger à côté de ses congénères. J'obtiens finalement le tampon libérateur qui m'offre aussitôt le Graal de ma quête : ma convocation pour l'aéroport.

Deux semaines plus tard, j'ai de nouveau un besoin pressant de kérosène. Rebelotte, me revoilà chez Air Service. Comme à l'accoutumée, tout se déroule à la perfection gabonaise jusqu'à la Caisse.
Je m'assoie impatient dans l'attente de la préposée qui cache sa boucle d'oreille téléphonique derrière la porte de service. Quelques sauts d'aiguilles plus tard, elle se traine jusque dans son enclos. Je m'approche pour payer mes 163 600 FCFA. L'enveloppe qu'elle recompte, lasse, pèse 165 000 FCFA. Après un moment, elle lève le regard, et complètement désinvolte :
"J'ai pas la monnaie.
- Ah, et il vous faut combien ?
- 600.
- Bah non, après une brève fouille de mon porte-monnaie."
Son regard vide fixé sur moi, je tente une échappatoire :
"Vous avez une solution ?
- Je ne sais pas.
- Faites un geste commercial : une réduction de 600 !
- Je ne peux pas.
- Et vos collègues, ils ont de la monnaie !
- C'est pas la Caisse."
Non Vincent, tu ne cèderas pas ! Je reste face, droit comme un I à la dévisager. Elle, sans expression, ne bouge pas.
Finalement, c'est un collègue qui craque. Voyant la situation sans issue, il se lève de son poste, prends le billet et quitte l'agence. Deux minutes plus tard, la porte s'ouvre sur une liasse de petites coupures !

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