lundi 20 septembre 2010

Quartier Louis

Nous arrêtâmes le taxi au croisement de deux ruelles passantes. En lui payant la course, je l'imaginai économiser dans un pot de verre, pièce après pièce, les économies de toute une vie. Peut-être pourrait-il remplacer son pare-brise fissuré de toute part avant de le léguer à son aîné ? L'image était enfantine et totalement décalé du Gabon. Ce qu'il ferait avec ses trois mille ? Payer l'essence, éventuellement mettre un sous de côté pour sa licence annuelle... Puis, il irait à boire les trois quarts le soir même, tout en dégoulinant de moralité envers ces occidentaux qui décidément n'en finissaient pas de se faire arnaquer. "Oh, mais je ne les ai pas forcés ! Je dis le prix, il monte. C'est eux qu'il faut qu'ils connaissent les prix après. C'est le business, oh !"

Nous prîmes à gauche et bientôt le seuil de l'hôtel se dévoila sur le trottoir. Un portail, une petite cour, puis quelques marches pour pénétrer dans le bâtiment et accéder à la réception. Derrière le comptoir, qui servait également de bar, une jeune femme nous accueillit.
"Nous avons réservé une chambre pour ce soir, lui dis-je pour la mettre sur la piste de l'agenda." Je lui proposai mon nom qu'elle se mit à chercher dans le cahier. Les pages défilèrent. Elle n'en finissait pas de les tourner, et mon inquiétude de grandir.
"Il y a un problème, tentai-je tout en posant mon sac à dos ?
- Je ne vous trouve pas. Vous n'êtes pas dans le cahier."
Elle reprit une nouvelle fois l'agenda à son début, et les feuilles bruissèrent en se tournant.
"J'ai appelé il y a une semaine pour réserver la chambre. Ça vous aide ?
- Non, vous n'êtes pas marqué."
Jetant un oeil dehors, la nuit était tombée. L'asphalte s’éclairait aux lampadaires. La situation s'enlisant, je sentis qu'une quête aux hôtels allait s'avérer très prochainement nécessaire. Traînailler avec sacs et sans réels buts dans le quartier animé de Libreville ne m'emplissait pas spécialement de joie.
"Mais je vous l'ai confirmé mercredi ! Vous m'avez annoncé que j'étais marqué, que j'avais une chambre !" Disant cela, je jetai un regard inquiet sur Adrien. Cette foudre ne semblait pas s'abattre sur lui. Il m'avoua plus tard que son but avait été atteint. Atterri sur Libreville, plus rien n'avait vraiment d'importance excepté son vol de retour.
"Ce n'était pas moi, me rétorqua la réceptionniste sans lever les yeux de l'agenda qui en était à sa troisième revue !"
Face au problème persistant, ce qui semblait être la gérante, âgée et blanche, apparut pour contourner le comptoir et prendre le relais de la femme.
"Bonsoir Messieurs, vous désirez ?
- Nous avons réservé une chambre à mon nom la semaine dernière, lançai-je en étouffant le sentiment de redite."
Ce fut son tour d'attraper l'agenda et d'en parcourir chaque page. Mais bientôt :
"Ah, ca y est, je vous ai !
- Ah bon ! c'est réglé alors ? On a une chambre, demandai-je soulagé par cette preuve irréfutable de ma réservation ?
- Non, vous êtes sur le Post-It, mais pas sur le planning, dit-elle en comparant les deux documents.
- C'est grave ? Vous avez peut-être une autre chambre à nous louer ?
- Non, l'hôtel est complet ce soir !"
Là-dessus, Adrien intervint :
"Mais on a réservé ! Vous devez bien avoir une chambre, une salle...
- ...ou juste un canapé, renchéris-je en désignant le fauteuil qui languissait dans l'entrée !"
La gérante soupira, fit mine de passer en revue toutes les solutions. Elle lâcha cette dernière. "J'ai une chambre qui se libère à vingt heures."

L'horloge du bar nous laissait une bonne demi-heure. Nous confiâmes les sacs à la réception pour retrouver une posture humaine le long du chemin vers le restaurant. En fin de repas, les rues s'égayèrent. D'un côté montèrent les mélopées des jeunes filles à notre égard. Une s'invita carrément à notre marche. Seule à nos côtés, elle s'empressa de prévenir une connaissance qui stationnait plus loin sur la même rue. Deux garçons, deux filles, ça semblait la règle : nous n'attirâmes plus de nouvelle conquête ! Comme nous marchions, du trottoir d'en face nous parvinrent quelques voix masculines. "Sales colonialistes ! Vous venez nous prendre nos femmes !" Elles n'y prêtèrent absolument aucune oreille.
La conversation qu'elles engagèrent sonna faux. Comment ça va ? Vous faites quoi ? Vous allez où ? Vous aimez Libreville ? Vous nous offrez un verre ? Allez, pourquoi pas ! Ça pouvait me permettre de faire découvrir la bière locale à mon ami.
Vous avez des copines ? Vous aimez les filles... ?
Un verre plus tard, assis dans le canapé du bar-boite alors que nos deux convives se divertissaient sur la piste de danse, j'allai me souvenir de cette phrase qu'Adrien m'a confié.
"C'est le rêve : je suis pas arrivé depuis six heures que deux filles nous tombent dans les bras ! Mais, dis Vincent, on est devenu beaux, ou alors c'est des prosti-putes ? Faut qu'on paie ?
- Juste les consommations, le rassurai-je. Et effectivement, ici, tu es blanc !"
Alors que je le mettais en garde sur la capacité pot-de-colle de ces filles, nos deux joyeuses revinrent nous tenir compagnie pour un deuxième verre.
Vous voulez vous marriez plus tard ? Vous aimez les bébés ?
Les filles sur nos pas, nous décollâmes pour l'hôtel vers onze heures. Il s'agissait de ne pas louper le train du lendemain. Comme pour vérifier le principe énoncé, nous eûmes un mal fou à nous séparer d'elles. Il fallut céder un numéro de portable et beaucoup de promesses avant de les voir s'éloigner.

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