jeudi 18 février 2010

La Poste (suite et fin) !

"Bonjour, est-ce que je peux parler à M. Mombé ?
- Il est au guichet, gardez l'écoute, annonce une voix féminine !"
Le combiné roule sur le bureau tandis que la voix s’éloigne. Bruits de fond mêlés à une conversation lointaine. Puis on reprend le téléphone et le haut parleur diffuse bientôt une mauvaise version de chanson classique. "Tutti tut, tutti tut ta !"
La musique cesse :
"Allo, allo ?"
Pour seule réponse, les tonalités de touches qu'on enfonce à la composition d'un numéro. Au bout du fil, un abruti n'a pas compris que je suis toujours ligne !
"Allo, allo, d’un ton plus sec !"
J'interromps le sketch d'un geste énervé et appuyé de ma main gauche sur l’interrupteur. De la droite qui serre l’appareil, je déplie lestement le majeur et joue une croche piquée sur le bis.

"Bonjour, c'est encore moi ! Est-ce que je peux parler à M. Mombé ?
- Gardez l'écoute, relance la même voix neutre !"
Un petit instant et puis :
"Oui, Monsieur Vincent ! J'ai retrouvé votre colis cinq minutes après que vous êtes parti ! Il était juste derrière nous. Vous vous souvenez, on a cherché partout dans la pièce. Il n'était pas loin. C’était sur l'étagère avec les autres colis.
- Très bien, l'essentiel c'est qu'il ne soit pas perdu, lancé-je pour arriver rapidement au but !
- Et c'est bien que vous m'appeliez. On a eu un problème avec le téléphone tout le vendredi. Et vous savez, vous m'avez laissé votre numéro mais...
- Ah ! Et maintenant, je peux passer ?
- Oui, venez maintenant. Je voulais vous avoir au téléphone mais quand je faisais le numéro… Vous voyez ! Et comme vous m'avez appelé vous pouvez venir ce matin.
- Je passe maintenant !"

Je digère la mauvaise foi, et décroche mon mobile pour prendre mon fidèle Tornado sous le bras. Dix minutes s’écoulent avant d’apercevoir le bâtiment administratif carrelé d’une mosaïque régulière blanche et bleue à travers le pare-brise de mon guide. Nous franchissons d'un pas décidé l’entrée vitrée. Une semaine n’a pas eu d’impact sur la foule constante de clients !
M. Mombé est au guichet. Nous perçons la nuée d’individu pour l'atteindre. A hauteur du rebord, décalé vers sa droite, je lève la tête pour percevoir son regard surpris.

"Mais, Monsieur Vincent, la douane n'est pas là. Je vous attendais vers midi !
- Maintenant que je suis là, on peut les appeler, rétorquais-je d’un air de défi ?
- Oui, attendez."
S’adressant à sa collègue de droite, il dicte un numéro de mobile Zain. L’élève fautif se fait sermonner par le maître sur ses chiffres erronés. Puis finalement, elle passe l’appel. Attente…
Guettant les sons de l'appareil calé contre l'oreille :
"Il ne répond pas !"
"Ecoutez Monsieur Vincent, enchaîne de nouveau M. Mombé, j'essaie de l'avoir et je vous rappelle. Vous pouvez passer ce midi ?
- Je peux aussi l'attendre ici ! Je ne suis plus à dix minutes !
- Non non, de toute façon il doit passer ce midi. Je vous appelle.
- Ce midi vers quelle heure ?
- Et bien à midi !"
A l’avenir, je devrais me passer de questions bêtes ! Nous sortons, moi penaud, mon collègue naturel. On doit s’habituer à toutes situations à les subir régulièrement.

Retour dans le bureau entre un café et une feuille Excel. A la bataille navale, on appelle ça un coup dans l'eau. Quel branque ! Enfin, il a retrouvé mon colis. J'ai l'espoir de terminer rapidement cette partie déjà longue de dix jours ! Je me calme par un gribouillis vert quelconque sur le fond jaune d’un post-it prédestiné à la poubelle.

Dix minutes à me laisser confortablement couler dans le fauteuil, et de prendre l'appel sur mon mobile :
"Allo ?
- Monsieur Vincent, venez tout de suite, la douane est là !
- Je... très bien j'arrive dans un quart d'heure, réponds-je pour boucler l’affaire avant le repas !
- Où êtes-vous ?
- Ben… au bureau !
- C'est loin ?
- Je ne sais pas, trois kilomètres, menté-je pour me laisser une marge. Je suis là dans un quart d'heure!
- Je vous passe la douane. Vous allez lui parler !"
Le téléphone change de voix. Masculine, grave et affirmée.
"Allo, entame le douanier ?
- Bonjour, proposé-je ?
- Oui ?
- M. Mombé veut que je vous parle...
- Oui, renouvelle la voix sans conviction ?
- Alors voilà, je suis au bureau et j'arrive dans un quart d'heure à la Poste pour retirer mon colis.
- Vous êtes où ?
- Vers la station service, réponds-je perplexe !
- Je vous attends dix minutes.
- Heu… si vous voulez... à tout à l'heure, lancé-je désappointé par la tournure de l’échange !"

Rossinante met un certain temps pour reparaître à bord de sa Toyota verte. L’expatrié à la place du mort a dû user de ses services pour une paperasse administrative. En m’enfonçant dans le siège arrière, j’apprends que le passager vise l’enregistrement de son permis de conduire français au Gabon. Sa prochaine étape est la mairie de Port Gentil. Un sourire furtif se dessine à mes lèvres comme j’imagine son parcours du combattant ! Il s'efface soudain aux paroles de Rossinante donnant priorité à la Poste, et me rappelant du même coup à mon tourment.

De nouveau stationné sur le bas-côté opposé du bâtiment aux colis, nous entrons dans ce lieu décidemment incontournable.
"Mais la douane est parti ! Vous êtes en retard !"
Je regarde hagard M. Mombé, jette un coup d’œil à ma montre et prends ma décision :
"Attendez M. Mombé, il est à peine parti depuis deux minutes ! On ne va pas se croiser toute la journée ; rappelez-le, moi je reste ici !"
En lançant cette réplique, l’idée que la douane ne soit jamais passée à la Poste m’enquiquine. J’ai pourtant eu quelqu’un au téléphone tout à l’heure. Un collègue postier de Mombé ? Et puis tout remonte : cette histoire de téléphone encombré tout le vendredi, de colis retrouvé à la minute où mon pied franchissait le seuil. On se fiche vraiment de moi ici !
"Faites le tour. Vous allez attendre dans la salle, dit-il en me désignant la pièce d’entreposage des colis en provenance de l’étranger."

Jolly Jumper me fait passer le garde face à la porte d’accès des bureaux postiers. Puis il me remémore son passager qui l’attend pour une course à la mairie.
"Dès que vous avez fini, vous m’appelez pour que je passe vous prendre !"
Je m’installe inconfortablement sur une chaise en bois devant le bureau métallique blanc où sont entassés invariablement les bordereaux et cahiers de dépôts de 2009 et 2010. Derrière moi, un autre bureau qu’occupe un employé à la fonction indéterminée. Un stylo à la main, il compare des bordereaux :
"Et bah alors ! Là c’est écrit Olivier BP 845, et là Olivura BP 1000 ! Et si le paquet arrive à la mauvaise adresse, il refait un tour, hein ? Et c’est quoi l’entreprise ? C’est Halliburton ! Moi je connais la boite postal d’Halliburton, c’est BP 1000. Mais Olivura, c’est pas correct comme nom ! Qu’est-ce que je fais ? Si je corrige et que c’est pas la bonne entreprise, il va pas le recevoir ! Ah la la"
Ressorti un tour d’aiguille, M. Mombé revient le pas vif :
"Vous avez un téléphone ? Il y a des problèmes avec le notre.
- J’ai mon portable...
- Je vous donne le numéro."
Il entame la dictée. Je le devance sur la dernière ligne droite, les chiffres matinaux scintillant à ma mémoire l’un après l’autre comme une suite indéniablement logique. M. Mombé profite de ma distraction pour retourner à ses clients.

Le téléphone encastré à l’oreille, j’essaie de me souvenir du nombre de sonneries avant le répondeur. Le problème au Gabon, c’est qu’il n’y a pas de répondeur. Seulement la phrase "Votre correspondant est indisponible pour le moment. Vous allez être redirigé sur sa boite vocale. La communication sera facturée au tarif en vigueur." Puis au moment du transfert, la ligne se coupe !
A travers les options du journal d’appel, je recompose le numéro. Le bout de la ligne reste mort. Il ne s’est pourtant envolé que depuis 5 minutes ! Troisième tentative… rien ! Je suis à la Poste, mon colis est sur l’étagère, et j’attends un douanier qui est injoignable. Menu, bis. Je ne réfléchis plus. Ou plutôt si, à autre chose ! En combien de temps se décharge un portable qui sonne en continu son propriétaire ? J’en suis à 5 ! Est-ce que mon HTC à une meilleure batterie que son très certain Motorola ? Après huit, mes doigts prennent l’automatisme. Je crois, cette fois, qu’ils n’ont pas attendu la boite vocale pour répéter le numéro.
Vingt minutes depuis mon entrée dans la pièce et mon correspondant décroche enfin !
"Allo ?
- Je suis à la Poste, je vous attends pour mon colis !
- Mais vous êtes en retard !
- Peut-être, mais maintenant je suis là, et on n’attend que vous !
- J’arrive dans vingt trente minutes. Je suis demandé ailleurs.
- Trente minutes ! Et je fais quoi moi ?
- Je fais au plus vite. A tout à l’heure !"
Comment m’occuper ? Est-ce que je sors ? Il y a une boulangerie pas très loin. Ou bien je peux me rendre au Casino. Non, si je quitte mon siège maintenant, mon colis passera la nuit à la Poste. Je change de position pour me préparer à l’éternité. Je détourne la chaise du bureau pour pouvoir étirer les jambes et glisser le long du dossier. Tant qu’à faire j’en passe une par-dessus l’autre. Le contrôleur de boites postales ne pipe mot ! A intervalles réguliers apparaît une tête dans l’encolure de la porte :
"Bonjour, vous voulez quelque chose ?"
Ce à quoi je réponds "Merci, on s’occupe de moi.". Puis la trentaine approchant "Non merci, ça va impeccable !"

Mon homme pointe ses dix minutes de retard, costume brillant beige à manches courtes recouvrant un T-shirt ! Ca se fait beaucoup par ici ! Il connaît la procédure :
"Où est le colis ?
- Le voici. Sur l’étagère, Monsieur Vincent, comme je vous l’ai dit, entonne fièrement M. Mombé revenu sur les pas du douanier.
- Bon alors, combien ça vous a coûté ?"
Il étudie l’étiquette bleue des colis postaux français indiquant le mode d’envoi et le prix facturé. Sentant la fin approcher, j’anticipe le retour de Bucéphale par le réseau GSM !
"15 € ! Il tourne la tête vers moi. Ca va, hein… c’est pas cher ! Bon, vous ne devez rien. Maintenant on ouvre, reportant son attention sur le paquet. Vous savez ce qu’il y a dedans ?
- Non, feinté-je.
- J’espère que ce n’est pas une bombe. Sinon… boom, je suis mort !"
Il déchire le carton sur une face du parallélépipède long comme une règle d’école. A l’intérieur, un film plastique transparent emballe le contenant et le socle d’une bouilloire.
"Qu’est-ce que c’est, joue le douanier le sourire au lèvre ? Allez, c’est à vous ! Au revoir !"
Agrippant enfin l’objet de mes fantasmes de quinze jours, je me fais alpaguer par M. Mombé :
"C’est 2 500 !"
Quatre euros ! Je donne un billet, reçois la monnaie et quitte ce lieu maudit avec Bucéphale !

Rentré chez moi, j’ai deux acheteurs pour ma bouilloire : mon guide administratif et mon gardien ! Je déballe la bouilloire et dénoue le fil. Après une hésitation, je ne l’essaie pas. Ici, les prises de courant libres sont un luxe que je vais devoir payer à coups de multiprises !

5 commentaires:

  1. Quelle Aventure pour une si petite Bouilloire!!!!!!

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  2. Ouf!! je craignais en plus qu'elle ne fonctionne pas à l'arrivée......

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  3. Charles, tu n'as pas suivi !
    Quand on dit "Bouilloire", on ne parle pas d'une fille...

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